En guise de deuxième article de ce blog, il est sans doute judicieux d’expliquer ce qu’on fabrique ici et pourquoi. Sans surprise, puisque c’est dans le titre, on va parler de jeu accessible.
Mais faisons un peu de terminologie avant d’aller plus loin. Déjà, accessible à qui ? Même si le support essentiellement textuel que j’emploie peut s’adapter à plusieurs formes d’handicap, c’est principalement l’handicap visuel que je vise, et plus particulièrement la cécité complète, tout simplement parce que j’y suis confronté.
Ensuite et surtout, j’oppose le jeu accessible au jeu exclusif. Un jeu exclusivement pour handicapé visuel n’aura en général aucune interface graphique. Il devient donc hermétique aux personnes valides, sauf peut-être dans une optique pédagogique. Même si je ne doute pas un seul instant qu’un jeu totalement audio puisse avoir un énorme potentiel, on en parlera dans un autre article, un jeu exclusif est condamné à avoir un minuscule public cible, donc des perspectives commerciales anecdotiques. Ce n’est donc à priori pas demain la veille qu’on verra débarquer dans ce secteur beaucoup de professionnels et des moyens conséquents.
Pour moi, un jeu accessible est un jeu auquel une personne valide peut jouer sans problème mais qui est conçu de telle sorte à ce que les handicapés visuels puissent y avoir accès. En théorie, un jeu accessible peut donc avoir un public encore plus large qu’un jeu classique puisqu’il réunit personnes valides et handicapés visuels. Même si l’accessibilité peut entraîner un coût de production, le jeu accessible reste financièrement incomparablement plus intéressant que le jeu exclusif. Hélas, il demeure marginal. Trop de professionnels ne sont pas sensibilisés à la question de l’accessibilité, et ceux qui le sont peuvent se dire que c’est très lourd à prendre en compte.
S’il y a bien un message que j’aimerais faire passer, c’est que certaines catégories de jeux sont très faciles à rendre accessible. Vous voulez un exemple ? En voici un qui s’est présenté opportunément pendant que je rédigeais cet article : Legend of Keepers. Le lien mène à une présentation du jeu par Koinsky. Legend of Keepers ne se joue pas en temps réel et ne fait pas appel à des notions de positionnement dans l’espace. Il y a bien une notion de position lors des combats au tour par tour, mais elle est très facile à se représenter. Bref, le jeu, pour être accessible, n’aurait qu’à permettre à un lecteur d’écran d’accéder à ses éléments. Si le développeur l’avait su avant de se lancer, les efforts à consentir pour l’accessibilité auraient été modérés, peut-être même anecdotiques en admettant que les outils de développement employés soient un minimum conciliants.
Legend of Keepers n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. L’avènement du jeu dématérialisé a fait exploser le nombre de jeux qui seraient potentiellement très simples à rendre accessibles. Je peux citer les innombrables jeux de cartes, comme le bien connu Slay the Spire ou l’adaptation du populaire Magic. Je peux citer pas mal de RPG ou de Rogue-like, comme Darkest Dungeon.
Certes, quand on commence à aborder les FPS, les STR, les jeux de plateforme, de sport ou d’action/aventure, l’accessibilité devient bien plus ardue et donc bien plus coûteuse à réaliser. En fait, dès lors que le nombre d’informations à l’écran devient trop important, surtout s’il faut les prendre en compte en temps réel et avec la nécessité de demeurer réactif, l’adaptation est probablement impossible. On ne peut plus transposer fidèlement les mécaniques de jeu, il faut les transformer et l’expérience s’en retrouve changée.
Mais avant de se demander comment adapter des jeux qui ne s’y prêtent pas, ou peu, commençons par ceux qui s’y prêtent bien et qui sont très nombreux.
Pour revenir à ce qu’on fabrique ici, il s’agit donc de jeux accessibles. J’ai parlé d’argent, car malheureusement quasiment tout tourne autour de l’argent, mais ça ne nous concerne pas pour l’instant. Je travaille bénévolement et c’est le cas de tous ceux qui m’aident. On distribue gratuitement nos productions. Bien sûr, nos moyens sont modestes, on fait avec. Par chance, le support essentiellement textuel que j’utilise est économique et riche de potentiel, on en parlera plus longuement dans un autre article.
Je termine en disant qu’on fait du jeu accessible non pédagogique. Les jeux du Nid de Corax s’adressent à des joueurs qui veulent du challenge, de la technicité et surtout qui veulent s’évader. Le seul message que je porte est celui que j’ai mentionné plus haut. Mis à part cela, on est là pour trucider du dragon à coup d’épée magique, pour rencontrer l’horreur et y survivre, pour vivre des histoires épiques ou étranges…
Je suis certes aveugle, mais avant de perdre la vue, j’ai pu jouer à des jeux ordinaires et je me suis formé en game design. Je peux malheureusement compter sur les doigts d’une seule main les jeux auxquels j’ai maintenant accès et qui m’ont satisfait. Je suis sans doute passé à côté de quelques perles rares mais le constat est sans appel : l’offre des jeux accessibles est animique, tout particulièrement dans notre langue. Alors, à mon humble niveau, j’essaie d’y remédier.